Grateful Dead et l'art psychédélique

Si aujourd’hui, on peut identifier un répertoire de formes psychédéliques dans les illustrations, ce n’était pas le cas dans les années 1960. Cette typologie est née avec le rock psychédélique en Californie et plus particulièrement le groupe Grateful Dead et deux graphistes ayant travaillé avec eux : Stanley Miller et Rick Griffin. Les crânes de squelette, les yeux, les fleurs, les formes à géométrie organique et les couleurs saturées sont leur héritage.

Stanley “Mouse” George Miller a travaillé avec Gratefull Dead dans le début des années 60 et un peu après 1970. Via Mouse Studios et Monster Company, il publie en collaboration avec Aston Kelley, des affiches et pochettes d’albums. Il signe leurs premières affiches de concert avant même la parution de leur premier album en 1967. La plus emblématique est celle du concert des 16 et 17 septembre 1966 à l’Avalon Ballroom de San Francisco. On retrouve alors déjà la symétrie, les déformations organiques des typographies, la place des décorations qui encadrent l’image. De même le squelette est lui aussi central. Sur une affiche moins connue de 1967, toujours pour un concert à l’Avalon, Stanley Mouse affirme l’influence d’Alfons Mucha et de l’art nouveau sur sa pratique. Le cadrage décoratif, la place centrale du personnage et l’utilisation de la lithographie comme médium l’inscrivent dans cette lignée.

Pour la fin des années 1960, Rick Griffin prend le relais. Ce dessinateur, auteur de mini bandes dessinées et créateur des Éditions Berkeley Bonapart va accentuer le caractère de ces affiches pour créer l’archétype du style psychédélique. C’est sur la couverture de l’album Aoxomoxoa et l’affiche du concert « It’s a Beautiful Day, the Theater of Madness » en 1969 que les bases sont posées.

Sur la pochette, on retrouve les éléments décoratifs pour encadrer l’image. Des porte-encens dont les pieds se liquéfient sur les côtés ; en haut un bandeau d’inspiration égyptienne avec une sphère, des ailes et des serpents, en bas un scarabé et des formes géométriques. Le tout parfaitement symétrique. Le premier cadre latéral formé par les porte-encens est redoublé d’un cadre coloré à l’intérieur duquel se déploie l’image. On peut voir un crâne de squelette et un soleil stylisé qui rappelle l’art d’Amérique centrale. On peut aussi voir la présence de champignons, d’arbres et de racines aux formes organiques ovulaires. Ces derniers affirment l’influence des drogues telles que le LSD ou le DMT sur ce type de productions. La typographie est complexifiée et presque rendue illisible mais rappelle l’influence de l’art nouveau. Cette fois, le répertoire de couleur est plus large et chattoyant. Un dégradé du jaune orangé au rouge pour le cadre, la typographie et une partie du dessin. Un dégradé du bleu foncé au bleu électrique pour le ciel. Du vert, du rose, du violet pour les éléments du dessin.

Les références aux cultures anciennes se multiplient et se mélangent. Sur l’affiche du concert, les couleurs sont reprises : noir pour le fond, rouge pour le cadre, dégradé de bleu pour le fond du dessin. Cependant le cadre, élément décoratif fait d’entrelacs d’inspiration celte, prend une place centrale dans la composition. Il vient l’entourer et la scinde en deux. Dans la partie supérieure, on retrouve la même typographie “Grateful Dead” ainsi qu’un crâne squelette ailé tenant non plus des œufs mais des cœurs. Le soleil est maintenant au centre de l’image et est partagé entre traitement amérindien et éclaboussures. Dans la partie inférieure apparaissent le nom de l’événement séparé entre un texte libre et un cartel stylisé en rouleau sur un piédestal rappelant les bas-reliefs maya ou inca. De chaque côté, en dessous du rouleau, se déploie une vague sur laquelle surfe un œil. Le traitement de cette vague n’est pas sans rappeler celles des estampes japonaises tandis que la typographie au bas du cadre semble un mélange d’inspirations celte et amérindienne. Ce grand amalgame d’influences et de styles variés est uni par le traitement de la couleur et des formes.

Ainsi les affiches et couvertures d’album permettent le déploiement et l’affirmation du style psychédélique auprès du public. On retrouve jusqu'à aujourd'hui des résurgences de ce style, souvent lié à la prise de substances psychotropes. C’est le cas de l’album 3001 A Laced Odyssey des Flatbush Zombies en 2016 et de ses visuels faits par David Nakayama, artiste de bande-dessinée. Sur la couverture on retrouve, l'œil tenu par une main momifiée, des ailes, un chien à trois yeux. Un des personnages porte un collier avec un crâne, un autre des bijoux rappelant l’égypte antique tandis que le dernier, en tenue militaire, sort d’un tank. Voici là une adaptation contemporaine du style psychédélique.

04/04/23